Le lien entre un chauffeur et Uber requalifié en contrat de travail

01/01/2020 Groupements/syndicats
Groupements/syndicats Le lien entre un chauffeur et Uber  requalifié en contrat de travail

La Cour de cassation a rejeté le 4 mars 2020, le pourvoi formulé par la société Uber et validé la requalification en contrat de travail le lien entre la plateforme et un de ses anciens chauffeurs. Une nouvelle décision qui pourrait remettre en question la réglementation applicable aux plateformes.

L’origine du dossier remonte à avril 2017. La société Uber BV désactive définitivement le compte d’un chauffeur de sa plateforme. Ce dernier, qui avait signé un formulaire d’enregistrement de partenariat avec Uber et exerçait une activité de chauffeur depuis le 12 octobre 2016, en recourant à la plateforme numérique Uber, après avoir loué un véhicule auprès d’un partenaire de cette société, et s’être enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyages par taxis, ne l’entend pas de cette façon. Il saisit alors la justice et demande que sa relation contractuelle avec Uber soit requalifiée en contrat de travail et demande des rappels de salaires et des indemnités de ruptures de contrat. Après une longue bataille judiciaire qui mène les deux parties jusqu’à la Cour de cassation, la Haute juridiction a finalement donné raison au plaignant. Le 4 mars dernier, la Cour de cassation a en effet, suivi le jugement de la cour d’appel qui estimait qu’il y avait bien une relation contractuelle entre l’ancien chauffeur VTC et la société Uber.

Définition des statuts de salarié et de travailleur indépendant
Pour motiver sa décision, la Cour de cassation s’est appuyée sur un précédent arrêté datant de 1996 (Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n°94-13.187, Bull. V n°386) qui définit clairement le critère du travail salarié : « Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ». Quant au travail indépendant, il se caractérise par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses propres tarifs, ainsi que la possibilité de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service. Aussi, la Cour de cassation a estimé qu’à partir du moment où le chauffeur ne réalisait pas sa prestation en qualité de travailleur libre de ses propres choix, il y avait bien un lien de subordination et donc que le chauffeur devait être considéré comme un salarié d’Uber.

Un précédent avec l’arrêté Take eat easy
Cette décision est la deuxième que prend la Cour de cassation dans ce sens. Pour rappel, la Haute juridiction avait déjà été amenée à se prononcer sur un cas similaire qui opposait un livreur à vélo à la société Take eat easy qui utilisait une plateforme numérique pour mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par l’intermédiaire de la plateforme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant. Par un arrêté daté du 28 novembre 2018 (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n°17-20.079), la Cour de cassation avait pour la première fois statué sur la qualification du contrat liant un travailleur à une plateforme numérique et estimé qu’il y avait bien un lien de subordination entre le livreur à vélo et la société Take eat easy.

Vers une évolution du statut des indépendants ?
Si l’arrêté du 28 novembre 2018 n’a visiblement pas ébranlé le monde des plateformes, celui du 4 mars 2020 a, semble-t-il, fait un peu plus bouger les lignes. Dès le lendemain, le 5 mars, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, annonçait la création d’une mission sur le statut des travailleurs des plateformes numériques de services et promettait des « propositions d’ici l’été ». Il est vrai que si d’autres travailleurs, dits indépendants, venaient à attaquer en justice la plateforme pour laquelle ils travaillent et demander à requalifier leur lien avec cette dernière en contrat de travail, il y a fort à parier — si l’on s’appuie sur les deux arrêtés rendus par la Cour de cassation —, qu’ils obtiendraient gain de cause. Cela pourrait notamment concerner les plateformes de formation à la conduite en ligne. Malheureusement, l’arrêt mi-mars, de la majeure partie de l’activité en France dû à la crise sanitaire a certainement mis entre parenthèse le travail de la mission lancée par la ministre du Travail. Par ailleurs, il conviendra d’être très prudent quant aux conclusions de cette mission, quand elles seront rendues. Rappelons qu’en juin 2019, le député LREM, Aurélien Taché, avait déposé un texte qui proposait d’imposer aux plateformes de rédiger une charte sociale. Si de prime abord, l’idée pouvait sembler louable, soulignons que les plateformes étaient libres d’en élaborer le contenu. Et en échange, elles étaient protégées contre les risques du droit du travail et donc de la requalification en contrats de travail. Heureusement, le texte n’a pas passé le contrôle du Conseil constitutionnel, mais comme dit le proverbe : « un homme averti en vaut deux » !

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